• Entretien : expert radicalité, Ancien membre du Centre de Prévention contre les dérives sectaires liées à l'Islam

    « L'appât, c'est le complot. Au départ, le recruteur ne parle pas d'islam. Il veut d'abord convaincre le jeune que la société est corrompue, mauvaise. Il veut détruire la confiance, rendre le jeune paranoïaque. Ensuite le jeune se sent investi d'une mission qui serait de changer ce monde corrompu. Et sa récompense, ce sera d'aller au paradis »

     

    Entretien : expert radicalité, Ancien membre du Centre de Prévention contre les dérives sectaires liées à l'Islam

     Capture d'écran de la campagne gouvernementale contre l'embrigadement

    « Le recruteur montre de plus en plus de vidéos : d'abord le complot, ensuite l'injustice : les gazages de populations par le président Assad en Syrie, des vidéos sur les Palestiniens ; ensuite seulement viennent les vidéos djhadistes Il y a de plus en plus de vidéos, cela va doucement, progressivement, le jeune ne se rend pas compte de ce qui lui arrive. »

     

    « La méthode pour recruter les garçons et celle pour recruter les filles sont différentes. Pour les filles, il s'agit de leur faire croire qu'elles vont accomplir une action humanitaire. Pour les garçons, les recruteurs insistent plus sur la guerre. »

     

    « Les garçons sont aussi encouragés par la promesse d'avoir plusieurs femmes. »

     

    « Pour l'Etat islamique, il faut avoir des filles, afin qu'elles fassent des enfants pour l'Etat islamique et qu'elles soient des récompenses pour les combattants. »

     

    « La question de la fin du monde est importante. La guerre en Syrie est présentée comme une guerre qui annonce la fin du monde et qui oppose les bons et les méchants. Les recruteurs disent aux jeunes qu'ils est urgent de combattre auprès des bons. »

     

    « Le recruteur ne cesse de répéter que l'islam est attaqué. Donc quand il y a des attaques verbales ou physiques contre des musulmans, cela renforce son discours. »

     

    « Avant, au début de la guerre civile en Syrie, les jeunes embrigadés venaient plutôt de familles musulmanes et de milieux défavorisés, des quartiers. Aujourd'hui, on constate une mutation. Des enfants issus des classes moyennes et dont les familles ont des croyances très diverses : de toutes les religions et athées. »

     

    « Aujourd'hui, au début du recrutement, il y a rarement l'islam. Il est plus facile d'aborder des jeunes qui n'ont pas de connaissance de l'islam. Il y a beaucoup de convertis parmi les jeunes recrutés. Les jeunes de milieux musulmans religieux ont souvent quelques notions de la religion qui les éloignent des djihadistes. Il y a aussi beaucoup de jeunes dont les parents viennent d'un milieu musulman mais qui ne sont pas religieux. »

     

    « Ces enfants sont avant tout des victimes. On abuse de leurs faiblesses ».

     

    « Le jeune n'a pas nécessairement des problèmes dans sa vie : tout jeune est fragile. »

     

    « Les jeunes rencontrés dans le cadre de programme de déradicalisation ressemblent à des robots. Ils répètent ce que les recruteurs disent, c'est comme une secte. Ils sont coupés du monde extérieur dont ils apprennent à se méfier. L'étape finale, c'est quand ils se coupent de leur famille. »

     

    « Les recruteurs se servent de la liberté de conscience. Ils expliquent aux jeunes qu'en France, il y a la liberté de conscience et qu'ils doivent avoir le droit de pratiquer la religion musulmane comme ils le souhaitent. »

     

     

    « Les jeunes embrigadés ne sont pas nécessairement confrontés à des difficultés familiales ou sociales. Comme pour les sectes, il s'agit de manipulation. Il s'agit avant tout de faire perdre confiance au jeune dans la société et dans son entourage proche ».

     

    « Le recrutement se fait quasi-systématiquement sur internet. Les jeunes ne se méfient pas : ils sont sur un réseau social, ce n'est que sur internet. »

     

    « Les salafistes, ce sont ceux qui pensent pratiquer l'islam du temps du prophète Mohamed. C'est pourquoi ils s'habillent avec ce pantalon large, se laissent pousser la barbe. Le salafisme peut conduire au djihadisme. C'est un terreau pour le djihadisme, puisqu'il y a déjà les bons musulmans d'un côté et de l'autre, les mauvais musulmans et les non-croyants, de manière très marquée. On bascule très vite de l'un à l'autre. »

     

    « Le recrutement des adolescents passe par un séducteur ou une séductrice. Cela ne fonctionne pas que pour les filles, même si cela est plus systématique pour elles. Sur les réseaux sociaux, un beau garçon se met en contact avec une jeune fille, il est très disponible, il la réconforte dans ses difficultés quotidiennes avec ses amis, ses parents. Peu à peu, il va parler de religion, il va dire que lui-même a eu des difficultés avec la religion, qu'il n'a pas toujours été religieux, puis qu'il a eu la foi, il va guider la jeune fille. Les filles et les garçons ne rencontrent en fait jamais leur recruteur. »

     

    « Les djihadistes ont beaucoup d'argent. C'est ce qui leur permet d'organiser la venue des personnes en Syrie et aussi d'être très présents sur internet. Quand un jeune cherche quelque chose sur l'islam sur internet, il y a de fortes chances qu'il tombe sur un site djihadiste, surtout les pages Facebook sur l'islam. »

     

    « L'argent des djihadistes vient de l'impôt sur les populations de l'Etat islamique et surtout de la drogue et du pétrôle. »

     

    « Les jeunes filles sont mariées dès la France ou à leur arrivée en Syrie. »

     

    Aux jeunes intéressés par l'islam, il faut leur dire de rencontrer des vrais personnes : des voisins, des responsables de mosquées qu'on leur a conseillé ».

     

    « Les signes de la radicalisation, c'est quand le jeune ne veut pas faire ses activités habituelles, il s'isole, et surtout lorsqu'il va jusqu'à rompre avec ses parents. »

     

    « Il est quasi-impossible pour une fille de rentrer de Syrie, cela arrive plus fréquemment pour les garçons, mais c'est aussi difficile. Dans les premières années de la guerre en Syrie, la justice française a été clémente pour les filles car l'idée qu'on parte pour défendre une cause humanitaire était vraisemblable. C'est plus compliqué aujourd'hui. »

     

    « Lorsque le recruteur s'en prend à un converti, il lui dit qu'il va être rejeté parce qu'il est musulman, même par ses parents. Or, lorsque les parents voient leur enfant se transformer, ils prennent souvent peur et le jeune y voit la preuve de ce rejet qu'on lui a annoncé. »

     

    « Les attentats de novembre ont freiné la radicalisation des jeunes, ceux de janvier avaient eu l'effet inverse. Les attentats de janvier ont suscité immédiatement une vague de complotisme. Là encore, l'appât, c'est l'affirmation que tout est mensonge. Par exemple, très vite, le trajet de la manifestation du 11 janvier a été comparé aux frontières de l'Etat d'Israël. »

     

    « Le déradicalisation fonctionne grâce à la prise de conscience que ce qui est arrivé au jeune est arrivé à d'autres, qu'il n'est pas seul, qu'il peut en parler avec d'autres jeunes. Les repentis ont donc le rôle principal. »

     

    Témoignage de S.

    Mon compagnon a commencé par pratiquer un islam très rigoriste : c'est quand il a dit que notre petite fille n'irait pas à l'école car c'est mixte, puis quand il a dit qu'elle n'avait pas le droit d'écouter de la musique, que j'ai compris qu'il y avait un problème. Il a ensuite commencé à regarder des vidéos djihadistes : il disait qu'il s'informait, qu'il était curieux, mais il en regardait de plus en plus. Aujourd'hui il veut partir combattre en Syrie. »


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